CORPUSDE CITATIONS. VERTUS DE LA PAROLE. 1. On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu'il y a de plus haut c'est l'ineffable. Mais c'est lĂ une opinion superficielle sans fondement; car en rĂ©alitĂ© l'ineffable c'est la pensĂ©e obscure, la pensĂ©e Ă l'Ă©tat de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu'elle trouve le mot. AinsiYâa les choses quâon peut faire Et puis celles quâon doit pas Yâa tout câquâon doit taire Tout câqui ne se dit pas Des vies qui nous attirent De brĂ»lures et de clous Oui, mais ne pas les vivre Câest encore pire que tout De sagesse en dĂ©rive De regrets en dĂ©goĂ»ts Yâa quâune guitare Ă la main Quâjâai peur de rien Quand les juges dĂ©libĂšrent Si jâfais mal ou jâfais bien Si jâsuis vraiment sincĂšre Moi jâsais mĂȘme plus trĂšs bien Quand les rumeurs vipĂšrent » Quand lâimage dĂ©teint Il mâreste ce vrai mystĂšre Et ça, ça mâappartient Quand je frĂŽle la lumiĂšre Quâun instant je la tiens Avec ma guitare Ă la main Jâai peur de rien Yâa des choses quâon pense Quâon voyait pas comme ça Mais on garde le silence Et on presse le pas Des regards quâon dĂ©tourne Des gestes quâon fait pas La conscience un peu sourde Et pas trĂšs fier de soi Quand la dose est trop lourde Quand lâblues va un peu loin Jâprends ma guitare Ă la main Et jâai peur de rien Paroles2Chansons dispose dâun accord de licence de paroles de chansons avec la SociĂ©tĂ© des Editeurs et Auteurs de Musique SEAM Translationsin context of "de rien ou de personne" in French-English from Reverso Context: Et lĂ il y a cette fille, et elle ne rĂ©pondait de rien ou de personne. Translation Context Grammar Check Synonyms Conjugation. Conjugation Documents Dictionary Collaborative Dictionary Grammar Expressio Reverso Corporate. Download for Windows . Log in. Register Log in Connect with
Les porteurs de paroles on vous en a parlĂ© rapidement Ă lâoccasion de lâAG Ă Bordeaux pendant la FĂȘte des possibles » et aujourdâhui on y revient plus en dĂ©tail pour vous expliquer ce que câest un porteur de paroles. Le porteur de paroles quâest-ce que câest ? Le Porteur de paroles est une exposition de propos rapportĂ©s on affiche une question dans la rue et on discute avec ceux qui souhaitent y rĂ©pondre. Puis on garde de ces Ă©changes une ou plusieurs phrases quâon Ă©crit sur des panneaux. Ces panneaux sont ensuite affichĂ©s Ă leur tour. La question posĂ©e se situe au centre et les rĂ©ponses des passants sont disposĂ©es en soleil. On peut comparer le porteur de paroles Ă un forum Internet debout dont le mĂ©diateur serait lâenquĂȘteur. Pour avoir une vue plus dĂ©taillĂ©e de ce concept vous pouvez allez sur Youtube oĂč il y a 3 tutoriels sur les Porteurs de paroles Le procĂ©dĂ© est simple Ă comprendre et se rapproche des forums Internet oĂč, rĂ©pondant Ă une question postĂ©e, les internautes Ă©crivent leurs commentaires. Plus il y a de rĂ©ponses et dâavis affichĂ©s, plus il y a de choses Ă lire et⊠plus il y a de gens qui lisent. Ce dispositif permet aussi de profiter des avantages qui caractĂ©risent lâespace numĂ©rique et les espaces publics des grandes villes, Ă savoir lâanonymat et la libertĂ© de choix. Ainsi, que ce soit dans un Porteur de paroles ou sur Internet, on peut sâarrĂȘter, lire et ne rien dire ; on peut Ă©galement choisir de sâexprimer. MalgrĂ© la rĂ©serve naturelle et la mĂ©fiance quâont souvent les inconnus entre eux, il devient alors facile dâentrer en contact avec le plus grand nombre de passants. Mais Ă quoi ça sert ? Ce dispositif permet de rendre collectif une question souvent renvoyĂ©e Ă lâindividu seul Ă travers une diversitĂ© de regards et de tĂ©moignages autour dâun thĂšme qui fait sociĂ©tĂ©. Le Porteur de paroles prend contacte avec la sociĂ©tĂ© dans la rue, lĂ oĂč on rencontre des personnes quâon ne rencontrerait pas forcĂ©ment au quotidien ou dans des structures. La rue permet un mĂ©lange de cultures et dâexpĂ©riences. Vous avez envie de le faire chez vous ? MatiĂšres Prises vous propose des exemples sur cinq thĂšmes diffĂ©rents afin que vous ayez des panneaux de tĂ©moignages pour commencer votre porteur de paroles. Car comme vous avez pu le voir dans les tutoriels, il ne suffit pas dâavoir la question placĂ©e au centre, mais aussi quelques panneaux de tĂ©moignages qui lâencadre. Ces quelques exemples vous permettront dâavoir des panneaux de dĂ©part pour faire rĂ©agir les passants. Les cinq thĂ©matiques 1 les relations hommes/femmes ; 2Ă quoi ĂȘtes-vous accro ?; 3la transmission des parents, 4ĂȘtre jeune aujourdâhui ; 5est-ce que vous faites des choses pour les autres ? Elles sont tĂ©lĂ©chargeables ici en version pdf Vous souhaitez en savoir plus ? â Trois tutoriels sont disponibles sur Youtube pour vous expliquer plus en dĂ©tails les diffĂ©rentes dĂ©marches du porteur de Paroles â Ce document vous en apprendra plus comment travailler dans un espace public et celui-ci vous prĂ©sentera un exemple prĂ©cis de porteur de paroles. -Vous souhaitez rĂ©aliser un porteur de paroles, ce document vous donnera des repĂšres pour lâanimateur enquĂȘteur. -Lâinterview de JĂ©rĂŽme Guillet, porteur de paroles, Ă lâoccasion de lâAG de Bordeaux, vous permettra dâen savoir plus sur le porteur de paroles et des exemples concret de mise en place de ce systĂšme.
Etm'allonger un peu Je te remercie de ta visite Merci encore Il y a des manifestations partout dans le monde Des rĂ©volutions, Rien n'est dĂ©finitif Un jour peut ĂȘtre je partirais Tu sais j'ai pas la tĂȘte Pas le cĆur Ă m'Ă©tendre Repasse me voir PriĂšre de ne pas attendre Tu semble surpris de me retrouver Au mĂȘme endroit Tu me dis " rien
Parler, câest articuler des sons pour faire entendre du sens Ă quelquâun. La parole est lâexercice de la facultĂ© linguistique, facultĂ© innĂ©e combinant la double fonction de symbolisation et de communication. Dire quâelle est innĂ©e, revient Ă pointer la dĂ©termination biologique du comportement linguistique. Il implique des dispositifs anatomiques et physiologiques des organes phonatoires et leurs commandes neuromusculaires mais surtout des capacitĂ©s neurocognitives Ă dĂ©faut desquelles Helen Keller nâaurait jamais pu Ă©tablir un lien entre la sensation de lâeau coulant sur sa main et les signes quâAnn Sullivan tapait sur son autre main. En ce sens, la parole est un fait de nature. Mais cet exercice de la facultĂ© linguistique sâaccomplit dans une langue qui est un systĂšme de signes et de rĂšgles conventionnels, propre Ă une communautĂ©. Toute langue comporte un lexique, une syntaxe et une sĂ©mantique quâil faut apprendre pour pouvoir parler. Lâaptitude linguistique qui est naturelle et par consĂ©quent universelle sâexerce dans une langue qui est particuliĂšre. En ce sens la parole est un fait culturel, fait qui la conditionne il faut notre immersion dans un milieu social pour dĂ©velopper nos possibilitĂ©s de parole mais quâelle constitue aussi car les signes sont des inventions humaines et le langage est nĂ©cessaire Ă lâexistence de toutes les institutions sociales. Câest lui qui est au principe de lâaventure humaine en tant quâelle nâest plus seulement le rĂ©sultat dâune Ă©volution naturelle mais Ćuvre humaine, production dâune histoire et dâune multiplicitĂ© de cultures. La parole articule ainsi la nature et la culture. Mais la parole est surtout lâusage que chaque sujet parlant fait de sa langue. Si la langue dĂ©finit la dimension abstraite du langage, la parole en constitue la dimension concrĂšte. Chaque sujet parlant sâempare de sa langue Ă sa maniĂšre, doit se soumettre Ă ses contraintes pour ĂȘtre compris mais lui imprime aussi la marque de sa libertĂ© et de sa singularitĂ©. En ce sens la parole est rĂ©vĂ©latrice dâune personnalitĂ© engageant avec les autres certains types de relations, elles-mĂȘmes tributaires dâune situation intersubjective, câest-Ă -dire de certaines conditions sociales et psychologiques. EnvisagĂ©e sous cet angle une rĂ©flexion sur la parole exige de pointer les difficultĂ©s de la circulation du sens Ă lâorigine du brouillage de la communication et dâexaminer les diffĂ©rentes pratiques possibles de la parole. Dâune parole encore engluĂ©e dans la violence de certains rapports sociaux et de certains affects, dâune parole caisse de rĂ©sonance des prĂ©jugĂ©s et des aveuglements idĂ©ologiques ambiants Ă une parole soucieuse de se mettre au clair avec elle-mĂȘme, dâassumer la responsabilitĂ© des valeurs quâelle ne cesse de convoquer le vrai, le bien, le juste et donc dâengager avec les autres un rapport digne de sa vocation spirituelle et morale, lâĂ©cart est abyssal. En ce sens nous ne pouvons pas ne pas nous demander ce que nous apprend sur notre nature le fait que nous soyons un animal parlant. Ne faut-il pas suivre ici Aristote et sa dĂ©finition canonique de la nature humaine ? Lâhomme, dit-il, est lâanimal douĂ© de logos. Logos en grec signifie Ă la fois parole et raison. Lâanimal parlant est un animal rationnel et aussi un animal politique, lâenjeu Ă©tant ici de comprendre pourquoi ces trois dĂ©finitions de la nature humaine sont rĂ©ciproquables. Enfin, nous ne prendrions pas la mesure du mystĂšre de notre condition si nous nâĂ©tions pas sensibles Ă la fonction quasi thaumaturgique de la parole tant en ce qui concerne le monde qui se rĂ©duirait Ă quelques stimuli si la parole ne le faisait pas surgir comme un univers de significations, quâen ce qui concerne les subjectivitĂ©s ne se constituant et ne prenant conscience de leur identitĂ© que dans le procĂšs mĂȘme de la relation de parole. Parler, câest en effet toujours parler de quelque chose Ă dâautres qui nous parlent. DĂšs quâil y a parole, les trois protagonistes du fait de parole sont en place un sujet parlant, un interlocuteur et ce dont on parle ; rĂ©fĂ©rence qui est aussi bien le monde extĂ©rieur, tiens, lâarbre dans le prĂ© est en fleur », que le vĂ©cu intĂ©rieur excuse-moi, je suis irritable aujourdâhui ». Lâenjeu est ici de comprendre que câest la parole qui nous arrache au mode dâĂȘtre des choses ou des animaux pour nous faire exister de maniĂšre singuliĂšre. Alors que les premiers sont seulement dans le monde, choses inertes ou vivantes parmi les choses, nous, nous sommes aussi devant le monde, face Ă lui, sujet face Ă des objets, sujet face Ă dâautres sujets. Or pourquoi sommes-nous redevables de ce statut ontologique Ă la parole ? Parce quâelle est lâopĂ©ration par laquelle ce morceau de matiĂšre que nous commençons Ă ĂȘtre se met magiquement Ă distance de lui-mĂȘme pour sortir de lâindiffĂ©renciation originaire et Ă©merger comme conscience se projetant vers le monde et vers les autres. DĂšs que le petit de lâhomme accĂšde Ă la parole grĂące Ă dâautres qui lui parlent, sâopĂšre comme une seconde naissance sâaccomplissant comme multiples Ă©mergences ou libĂ©rations. Emergence rĂ©ciproque dâun moi et dâun toi, dans lâexpĂ©rience de notre intersubjectivitĂ©, libĂ©ration de la pensĂ©e pour la connaissance et la rĂ©flexion mais Ă©mergence aussi du monde en tant quâil est Ă la fois la rĂ©alitĂ© objective sâoffrant dĂ©sormais Ă une appropriation symbolique virtuellement illimitĂ©e et la rĂ©alitĂ© instituĂ©e par la magie du langage Etats, Eglises, systĂšmes juridiques, etc. En ce sens il y a une fonction crĂ©atrice de la parole. Câest elle qui est au principe de notre dĂ©voilement du monde et de lâinstitution de notre univers social, câest elle qui est au principe de la conscience que nous prenons de notre propre identitĂ©, câest elle encore qui nous permet de dĂ©ployer nos capacitĂ©s de pensĂ©e, câest elle enfin qui autorise lâespĂ©rance dâune institution politique pacifiĂ©e. Mais cela ne va pas de soi. Pour le comprendre clairement il convient de remettre en cause des opinions qui, Ă chaque niveau dâanalyse, sont de nature Ă nous induire en erreur. VoilĂ pourquoi chaque partie commence par lâĂ©noncĂ© de lâidĂ©e communĂ©ment admise afin de mettre en garde les esprits contre les idĂ©es toutes faites. La fonction crĂ©atrice de la parole dans le rapport au monde objectif. La sortie du syncrĂ©tisme sensoriel. On croit communĂ©ment que lâexistence humaine se dĂ©ploie immĂ©diatement sous une forme oĂč moi, autrui, les choses sont diffĂ©renciĂ©s de telle sorte quâon percevrait spontanĂ©ment la rĂ©alitĂ© avec ses objets distincts, son organisation spatiale, ses variations temporelles, ses qualitĂ©s sensibles, etc. Il suffirait dâouvrir les yeux pour reflĂ©ter une rĂ©alitĂ© sâimposant au regard comme un donnĂ© absolu. Or il sâen faut de beaucoup quâil en soit ainsi. La psychologie de lâenfant montre que le nourrisson ne diffĂ©rencie pas lâinterne de lâexterne, son propre corps et les objets environnants. Son univers mental est flou, sans objets au sens oĂč nous lâentendons. Il est seulement constituĂ© des multiples impressions, sensations qui lâassaillent, la sortie de ce que Jean Piaget appelle le syncrĂ©tisme sensoriel sâopĂ©rant progressivement grĂące Ă lâexploration sensori-motrice de lâespace et de maniĂšre dĂ©cisive par lâaccĂšs au langage. Par la mĂ©diation des personnes qui lui parlent et lui apprennent Ă nommer les choses, le bĂ©bĂ© est mis en situation de dĂ©couper les objets dans le flux indiffĂ©renciĂ© de ses impressions, dâen fixer les contours, et de les mĂ©moriser. Lâunivers cesse pour lui dâĂȘtre confus, fluide, il sâorganise, il se met Ă exister comme un ensemble dâĂ©lĂ©ments stables, dissociĂ©s de ses impressions et dâune situation donnĂ©e, câest-Ă -dire comme le corrĂ©lat dâun acte mental lui confĂ©rant une existence indĂ©pendante. En le dĂ©signant, celui-ci donne consistance Ă une extĂ©rioritĂ© devenant dĂ©sormais un centre de curiositĂ©. Comment ça sâappelle ? », Quâest-ce que câest ? », la parole introduit lâenfant dans une autre modalitĂ© dâĂȘtre. Non point quâelle crĂ©e le monde ; il est dĂ©jĂ lĂ avant que nous le nommions mais ce que lâon ne nomme pas nâa pas dâexistence pour nous et surtout nâexiste pas comme un centre de dĂ©signations et de significations. En interposant le signe entre le monde et la conscience, la parole tire les choses du nĂ©ant, les fait venir Ă lâexistence. Si vous nommez la conduite dâun individu, vous la lui rĂ©vĂ©lez il se voit » Ă©crit Sartre. La parole introduit ainsi lâĂ©cart, la distance initiant la scission sujet/objet sans laquelle il ne peut y avoir ni un sujet qui se reprĂ©sente, ni un objet reprĂ©sentĂ©. Les deux sont constituĂ©s conjointement par lâeffet magique de la parole. Par la vertu du signe la conscience sâĂ©veille Ă elle-mĂȘme et se projette vers un monde dĂ©sormais disponible pour une appropriation symbolique, autrement dit pour lâexploration et lâinterprĂ©tation dâun esprit en voie de dĂ©veloppement. Helen Keller a donnĂ© un tĂ©moignage Ă©mouvant de ce moment dĂ©cisif oĂč la mĂ©diation du mot mĂ©tamorphose son expĂ©rience, lâarrache au brouillard, aux tĂ©nĂšbres de son vĂ©cu antĂ©rieurement Ă sa naissance au langage. Elle Ă©tait engluĂ©e dans des motions affectives accĂšs de violence, hĂ©bĂ©tude, lĂ©thargie, dans une sorte de corps Ă corps avec le monde. Le langage rompt cette aliĂ©nation en lui donnant la capacitĂ© dâĂȘtre prĂ©sente simultanĂ©ment au monde et Ă elle-mĂȘme. Nous descendĂźmes le sentier qui menait au puits, attirĂ©es par le parfum Ă©pandu dans l'air ambiant par le chĂšvrefeuille qui formait un dĂŽme au-dessus du puits. Quelqu'un Ă©tait prĂ©cisĂ©ment occupĂ© Ă tirer de l'eau, et mon institutrice me plaça la main sous le jet du seau qu'on vidait. Tandis que je goĂ»tais la sensation de cette eau fraĂźche, miss Sullivan traça dans ma main restĂ©e libre le mot eau, d'abord lentement, puis plus vite. Je restais immobile, toute mon attention concentrĂ©e sur les mouvements de ses doigts. Soudain il me vint un souvenir imprĂ©cis comme de quelque chose depuis longtemps oubliĂ© et, d'un seul coup, le mystĂšre du langage me fut rĂ©vĂ©lĂ©. Je savais, maintenant, que e-a-u dĂ©signait ce quelque chose de frais qui coulait sur ma main. Ce mot avait une vie, il faisait la lumiĂšre dans mon esprit qu'il libĂ©rait en l'emplissant de joie et d'espĂ©rance. Il me restait encore bien des obstacles Ă franchir, il est vrai, mais j'Ă©tais pĂ©nĂ©trĂ©e de cette conviction qu'avec le temps j'y parviendrais. Je quittai le puits, pleine d'ardeur Ă l'Ă©tude. Tout objet avait un nom, et tout nom provoquait une pensĂ©e nouvelle. Tout ce que je touchais sur le chemin de la maison, me semblait palpiter de vie c'est que maintenant je voyais les choses extĂ©rieures sous un aspect nouveau ». Histoire de ma vie, Payot, 1991, trad. A Huzard, La parole fait donc surgir le rĂ©el en le dĂ©voilant. Elle opĂšre sur le rĂ©el une action que Sartre appelle une action par dĂ©voilement ». Mais aucune symbolisation nâest neutre. Tributaire dâune certaine maniĂšre de se projeter vers le monde, elle est toujours porteuse de valorisations implicites. Ainsi si lâapprentissage de la langue maternelle ouvre pour lâenfant un univers de dĂ©signations et dâidĂ©es en lâarrachant Ă sa prison syncrĂ©tique, il lâexpose Ă une autre prison, celle de la communautĂ© Ă laquelle il appartient et qui a dĂ©posĂ© dans sa langue ses prĂ©jugĂ©s, sa vision particuliĂšre du rĂ©el dont il faudra un jour se libĂ©rer aussi par un rapport critique Ă sa langue pour que la parole ouvre un monde ayant valeur dâuniversalitĂ©. Remarquons au passage que la Bible se fait lâĂ©cho de ce pouvoir magique du verbe dans les deux formules Dieu dit Que la lumiĂšre soit ! » et la lumiĂšre fut». Ancien Testament, GenĂšse Au commencement Ă©tait le verbe ». Nouveau Testament, Prologue de lâEvangile selon St Jean. Monde humain, monde animal. Cette Ă©mergence dâune conscience intentionnelle libĂ©rĂ©e des limites dâun ĂȘtre-dans-le-monde structurĂ© par lâexistence purement biologique ne sâobserve jamais chez les animaux. Quoi quâen disent tous ceux qui voudraient que nous soyons un animal comme un autre, le langage est un mur, un Rubicon quâaucun animal nâa jamais franchi. Les animaux disposent bien dâun systĂšme de signes pour communiquer mais leur comportement ne rĂ©vĂšle ni une vĂ©ritable activitĂ© de symbolisation, ni une vĂ©ritable situation dâinterlocution comme en tĂ©moigne la parole humaine. Tout invite Ă penser que leur communication sâinscrit dans une stratĂ©gie par laquelle lâespĂšce poursuit ses finalitĂ©s biologiques. Pas dâinitiative symbolique chez les abeilles Ă©tudiĂ©es par Von Frisch. On nâa jamais vu une abeille inventer une danse pour signifier autre chose que ce quâelle est programmĂ©e Ă indiquer, par exemple quâil nây a pas de sources de nourriture dans les environs ou quâelle nâa pas envie de sortir de la ruche aujourdâhui. On nâa jamais vu non plus une abeille rĂ©pondre Ă la danse de lâabeille pourvoyeuse par une autre danse comme ce serait le cas si on avait affaire Ă un Ă©change linguistique, fĂ»t-il par gestes. L'Ă©mission de signes est toujours dĂ©clenchĂ©e par une excitation directe prĂ©sence dâune source de nourriture, dâun danger, dâun partenaire sexuel. Elle colle Ă la situation et elle est toujours en rapport avec un besoin. D'oĂč la pauvretĂ© et la fixitĂ© des contenus du message. Sa rigiditĂ© aussi. Si la situation change, l'animal est inapte Ă inventer un nouveau signe. Von Frisch le vĂ©rifie en posant une source de nourriture au sommet d'un pylĂŽne de radiodiffusion. Les abeilles pourvoyeuses le dĂ©couvrent mais ne peuvent pas le signifier. Il n'est pas prĂ©vu d'expression signifiant en haut » dans le langage des abeilles. C'est qu'aucune fleur ne pousse dans les nuages » Ă©crit-il. Cette expĂ©rience montre que les signes animaux sont des signes instinctifs. Ils sont propres Ă une espĂšce, ne varient pas dans le temps, renvoient toujours aux mĂȘmes donnĂ©es, procĂšdent d'automatismes. Ce sont essentiellement des signaux par lesquels les animaux obtiennent les uns des autres les comportements utiles Ă la conservation de l'espĂšce. L'animal ne fait jamais ni de ses Ă©tats, ni de son monde un symbole c'est-Ă -dire un signe renvoyant Ă un sens. Il semble privĂ© de ce qui est le propre de l'homme, Ă savoir la fonction symbolique par laquelle celui-ci ouvre un monde de significations, monde de la culture oĂč l'Ă©change des paroles n'est pas tributaire d'un contact direct avec la chose mais peut s'effectuer Ă partir des seules donnĂ©es linguistiques. MĂȘme Sarah, la femelle chimpanzĂ© soumise avec obstination par les Premack Ă lâapprentissage linguistique ne parvient pas Ă manifester une quelconque initiative symbolique. Elle est capable par des moyens relevant du dressage dâune certaine capacitĂ© de communication et de symbolisation, voire dâabstraction puisquâelle parvient Ă signifier les propriĂ©tĂ©s dâune pomme rouge, ronde, dotĂ©e dâune queue Ă lâaide de jetons distinguĂ©s de ceux qui indiquent carrĂ©, vert et non dotĂ© dâune queue ; Ă dissocier aussi les propriĂ©tĂ©s du signe de celles de la chose puisquâelle dĂ©signe la pomme rouge Ă lâaide dâun jeton bleu et mĂȘme Ă utiliser des connecteurs logiques en encodant une phrase telle que si Sarah prend banane, alors Mary donner chocolat Sarah. Mais ces balbutiements ne libĂšrent jamais Sarah pour un jeu avec les signes comme on le voit chez lâenfant, pour une expression linguistique dĂ©tachĂ©e de la prĂ©sence concrĂšte des objets dĂ©signĂ©s et encore moins pour lâemploi de signes permettant de parler de tout et de nâimporte quoi, de ce qui nâexiste pas, du possible, du futur, du passĂ©, bref pour faire exister un univers nâayant pas dâautre support que les signes. VoilĂ pourquoi, on peut suivre Heidegger lorsquâil Ă©crit La pierre est sans monde, lâanimal est pauvre en monde, lâhomme est configurateur de monde » cours de Et il prĂ©cise dans sa Lettre sur lâhumanisme Si plantes et animaux sont privĂ©s de langage, câest parce quâils sont emprisonnĂ©s chacun dans leur univers environnant ». Ils demeurent immergĂ©s dans leur milieu, lâapparition des choses Ă©tant Ă©puisĂ©e par leur sens utilitaire. Ce nâest pas la capacitĂ© phonique dâarticulation qui leur fait dĂ©faut, câest la possibilitĂ© typique dâune conscience de dĂ©border les limites de lâexistence biologique, de se projeter vers un monde comme un esprit ouvrant un monde de significations. La fonction crĂ©atrice de la parole dans lâinstitution du monde culturel. La parole ne se contente pas de dĂ©voiler la rĂ©alitĂ© objective. Elle est au principe de lâinstitution du monde dans lequel se dĂ©ploie lâexistence humaine. Car, contrairement Ă ce que lâon croit communĂ©ment, les sociĂ©tĂ©s, les Etats, les organisations internationales, lâorganisation Ă©conomique, les Eglises, etc. nâont pas une assise objective. Ce sont des rĂ©alitĂ©s imaginaires ayant ceci de singulier quâelles ont une rĂ©alitĂ© effective et exercent une force dans le rĂ©el aussi longtemps que la majoritĂ© des hommes leur donne son adhĂ©sion. Elles tirent donc leur existence des croyances partagĂ©es par les individus quâelles cohĂ©rent, câest-Ă -dire de la capacitĂ© humaine de parler dâautre chose que de ce qui existe, de se reprĂ©senter le possible ou le souhaitable et de lui donner existence objective. Toutes les institutions humaines reposent ainsi sur des fictions nâayant pas dâautre support originairement que des paroles. Pensons aux lois rĂ©gissant effectivement les rapports sociaux dans une sociĂ©tĂ© donnĂ©e. Ici on dit que les hommes sont Ă©gaux, lĂ quâil y a une hiĂ©rarchie naturelle entre eux. Ces Ă©noncĂ©s nâont pas de fondement objectif, ils sont le produit de lâimagination humaine mais ces fictions, ces reprĂ©sentations, bien que nĂ©es de lâimagination humaine nâen acquiĂšrent pas moins rĂ©alitĂ© effective par lâaction de les concrĂ©tiser dans les faits. Comme lâĂ©crit Bourdieu Ceux qui, comme Max Weber, ont opposĂ© au droit magique ou charismatique du serment collectif ou de lâordalie, un droit rationnel fondĂ© sur la calculabilitĂ© et la prĂ©visibilitĂ©, oublient que le droit le plus rigoureusement rationalisĂ© nâest jamais quâun acte de magie sociale qui rĂ©ussit. Le discours juridique est une parole crĂ©atrice qui fait exister ce quâelle Ă©nonce » Ce que parler veut dire, Fayard, 1982, p. 20-21. Certes il ne suffit pas de dire pour faire. Les Ă©noncĂ©s quâAustin appelle des Ă©noncĂ©s performatifs, opposables aux Ă©noncĂ©s constatifs, ne sont pas tels par la seule magie du langage. Par exemple nâimporte qui nâa pas la possibilitĂ© de dire le droit. Seuls les ĂȘtre investis par le corps social de ce pouvoir le lĂ©gislateur, le juge en ont la capacitĂ©. Les performatifs impliquent des conditions de fĂ©licitĂ© » Austin mettant en jeu diffĂ©rents statuts de pouvoir Ă lâintĂ©rieur dâune sociĂ©tĂ© Ă un moment donnĂ©. Le pouvoir symbolique bien rĂ©el est tributaire de certaines conditions sociales dâeffectuation. Reste que dans le monde humain, faire consiste parfois simplement Ă dire Je te promets », Je vous dĂ©clare unis par les liens du mariage », etc. et lâaction des hommes sâenracine toujours dans une parole prĂ©alable formulant le projet qui prĂ©existe mentalement dans la conscience des concepteurs. Songeons que lâacte de naissance des grandes civilisations se recueille dans quelques grandes paroles fondatrices, nâen finissant pas de retentir, de coaguler dans les consciences humaines et de produire leur effets de rĂ©alitĂ© dans la longue durĂ©e. Les cordes de lâimagination » Pascal font tenir le pire comme le meilleur, mais lorsquâelles se dĂ©tendent par lâefficace dâautres paroles, le meilleur ne rĂ©siste pas davantage que le pire. La fonction crĂ©atrice de la parole dans le rapport Ă soi-mĂȘme et aux autres. On croit communĂ©ment que chaque personne est un ĂȘtre substantiel, un sujet de parole prĂ©existant aux actes de parole, le langage Ă©tant un simple instrument lui permettant dâentrer en relation avec dâautres ĂȘtres analogues, chacun se tenant en soi et par soi. Or câest lĂ une idĂ©e naĂŻve mĂ©connaissant le rĂŽle constitutif de la parole dans la construction de la subjectivitĂ©, et de lâimage que chacun a de soi-mĂȘme. Car il nây a pas de subjectivitĂ© consciente antĂ©rieurement aux actes sociaux de langage. La parole des autres nâest pas dĂ©terminante seulement dans la construction des reprĂ©sentations mentales que le bĂ©bĂ© se fait du monde extĂ©rieur, elle intervient aussi dans lâĂ©laboration de la conscience de soi. DĂšs quâil sourit, le nourrisson fait son entrĂ©e dans lâunivers des relations humaines, dĂšs quâil fait un lien entre ses pleurs et les soins qui lui sont prodiguĂ©s, il accĂšde Ă lâintentionnalitĂ©. Les interactions avec les autres sous forme non verbale prĂ©parent lâĂ©change verbal. Lâacquisition du langage marque une Ă©tape dĂ©cisive entre 18 mois et 3 ans accompagnant le processus dâindividuation. Il est significatif que lâenfant commence Ă parler de lui comme il entend les autres en parler, câest-Ă -dire Ă la troisiĂšme personne. Puis peu Ă peu il accĂšde Ă la parole en premiĂšre personne, il emploie le je ». Ce qui nâest pas rien ! Lâenfant se pose dĂ©sormais comme un locuteur, un sujet, et non plus un objet du langage. Kant a soulignĂ© lâimportance capitale de cet Ă©vĂ©nement Il faut remarquer que l'enfant, qui sait dĂ©jĂ parler assez correctement, ne commence qu'assez tard peut-ĂȘtre un an aprĂšs Ă dire Je ; avant, il parle de soi Ă la troisiĂšme personne Charles veut manger, marcher etc. ; et il semble que pour lui une lumiĂšre vienne de se lever quand il commence Ă dire Je ; Ă partir de ce jour, il ne revient jamais Ă l'autre maniĂšre de parler. Auparavant il ne faisait que se sentir, maintenant il se pense » Anthropologie du point de vue DĂ©sormais il se pense », dit Kant. De fait dire Je » indique que lâenfant accĂšde au sentiment de son unitĂ© et de son identitĂ© personnelle. Or lâunitĂ© et lâidentitĂ© de la personne ne sont pas des donnĂ©es empiriques, pas plus dâailleurs que celles des objets. Comme tout ce qui existe dans le temps, le moi ne cesse de changer, son vĂ©cu est Ă©clatĂ© en une multiplicitĂ© et une diversitĂ© de sensations, de mouvements. LâĂ©mergence du je » implique une activitĂ© de synthĂšse par laquelle on unifie la multiplicitĂ© de ses Ă©tats et de ses actes et on les identifie comme siens. Une telle opĂ©ration ne va pas de soi. Elle requiert lâexercice dâun entendement. En disant Je », lâenfant tĂ©moigne quâil nâest pas seulement comme les animaux une sensibilitĂ©, il dispose dâun entendement ou de lâintelligence. Kant a tirĂ© les consĂ©quences morales de cette caractĂ©ristique humaine PossĂ©der le Je dans sa reprĂ©sentation ce pouvoir Ă©lĂšve l'homme infiniment au-dessus de tous les autres ĂȘtres vivants sur la terre. Par lĂ , il est une personne ; et grĂące Ă l'unitĂ© de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et mĂȘme personne, c'est-Ă -dire un ĂȘtre entiĂšrement diffĂ©rent, par le rang et la dignitĂ©, des choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer Ă sa guise ; et ceci, mĂȘme lorsqu'il ne peut pas encore dire le Je, car il l'a cependant dans sa pensĂ©e ; ainsi toutes les langues, lorsqu'elles parlent Ă la premiĂšre personne doivent penser ce Je, mĂȘme si elles ne l'expriment pas par un mot particulier. Car cette facultĂ© de penser est l'entendement ». Anthropologie du point de vue Il est donc permis de se demander ce que cet exercice de lâentendement doit Ă la situation dâinterlocution. Pourrait-il se dĂ©ployer sans le support du langage et indĂ©pendamment de cette situation? Pourrait-on advenir comme un sujet si on nâĂ©tait pas en relation avec dâautres sujets, pourrait-on dĂ©couvrir son identitĂ© si on ne se saisissait pas dans une opposition Ă une altĂ©ritĂ© ? Toutes ces questions suggĂšrent que le sentiment de notre unitĂ© et de notre identitĂ© personnelles doit quelque chose Ă la capacitĂ© de disposer linguistiquement du Je, du tu et aussi au fait de porter un nom. Il ne s'agit pas de dire que le moi est un simple produit de la grammaire ce serait oublier que les langues sont des crĂ©ations de l'esprit humain, mais de ne pas mĂ©connaĂźtre qu'on construit le rĂ©el Ă travers les catĂ©gories d'une langue, ce qui n'est pas sans incidence sur la construction de sa propre identitĂ©. Les linguistes, par exemple, insistent avec Benveniste, sur le fait que le sujet ne prĂ©existe pas aux actes d'Ă©nonciation mais est au contraire instituĂ© par eux. La personnalitĂ©, la subjectivitĂ© au sens psychologique et moral se constitue Ă l'intĂ©rieur du langage. La subjectivitĂ© dont nous traitons ici c'est la capacitĂ© du locuteur Ă se poser comme sujet ». [âŠ] Nous tenons que cette subjectivitĂ© » ...n'est que l'Ă©mergence dans l'ĂȘtre d'une propriĂ©tĂ© fondamentale du langage. Est ego » qui dit ego ». Nous trouvons lĂ , le fondement de la subjectivitĂ© » qui se dĂ©termine par le statut linguistique de la personne ». La conscience de soi n'est possible que si elle s'Ă©prouve par contraste. "Je" n'emploie "je" qu'en s'adressant Ă quelqu'un qui dans son allocution sera un "tu". C'est cette condition du dialogue qui est constitutive de la personne, car elle implique en rĂ©ciprocitĂ© que je deviens tu dans l'allocution de celui qui se dĂ©signe Ă son tour par je » Emile Benveniste. De la subjectivitĂ© dans le langage » in ProblĂšme de linguistique gĂ©nĂ©rale. 1956, Gallimard Tel », 1966, p. 259-260. Les Ă©tudes de genre portant sur la construction sociale et culturelle de lâidentitĂ© sexuelle, insistent elles aussi sur le rĂŽle dĂ©terminant de la langue dans lâappropriation par chaque individu de son identitĂ© masculine ou fĂ©minine. Dâabord, le terme mĂȘme de genre est importĂ© de la grammaire, mais il ne peut se prĂ©valoir dâaucune neutralitĂ© grammaticale. La distinction dâun il » et dâun elle » oblige chacun Ă sâinscrire dans une seule catĂ©gorie au sein dâun systĂšme qui nâen comporte que deux avec la contrainte normative que cela implique et les difficultĂ©s psychologiques que cette assignation entraĂźne pour les individus qui ne veulent pas ou ne peuvent pas sâinscrire dans une seule case. Elle nâindique pas seulement une binaritĂ© au sein de lâespĂšce humaine mais aussi une hiĂ©rarchie dans la plupart des langues. En français, par exemple, le genre universel est le genre masculin les hommes, le genre fĂ©minin est un sous-ensemble spĂ©cifique du genre humain. Lâusage du masculin dit gĂ©nĂ©rique » contribue Ă rendre invisible les femmes dans le corps social, les Français, les Ă©tudiants, les salariĂ©s, les Ă©lecteurs, etc. ou Ă les expatrier des mĂ©tiers valorisĂ©s cf. le processus de fĂ©minisation en cours des professions prestigieuses. Le masculin lâemporte sur le fĂ©minin dans les accords comme sâil y avait une supĂ©rioritĂ© naturelle du mĂąle sur la femelle. Comment dĂšs lors ne pas intĂ©rioriser les significations dĂ©posĂ©es dans la langue que lâon parle chaque jour, et sâidentifier conformĂ©ment Ă lâinĂ©galitĂ© des rapports sociaux de sexes quâelle reflĂšte ? Vecteur de la prise de conscience de la subjectivitĂ©, de lâidentitĂ© sexuelle et de lâexercice de lâintellect, le milieu de parole est aussi dĂ©terminant dans le dĂ©veloppement de la personnalitĂ© psychologique et morale. Chacun est en grande partie ce que la parole des autres a instituĂ©. Nul ne peut se sentir exister comme un sujet responsable, si personne, ses parents, ses Ă©ducateurs, le lĂ©gislateur, ne lui demande de se conduire comme tel. Nul ne peut ĂȘtre Ă©levĂ© » Ă la dimension dâune personne morale si on sâadresse Ă lui comme un chien, si aucune marque de respect et de politesse ne rend hommage Ă sa dignitĂ©. Chacun intĂ©riorise les sentiments, les jugements que lui renvoient le regard et la parole des autres. Câest dire combien les relations intersubjectives ne sont pas inoffensives. Elles ne lient pas des personnes dont lâĂȘtre prĂ©existe Ă la relation. En rĂ©alitĂ© câest la relation qui crĂ©e cet ĂȘtre au moins dans lâimage que celui-ci construit de lui-mĂȘme. Ainsi si la parole dâamour fait Ă©clore lâĂȘtre aimable, la parole agressive fait jaillir lâĂȘtre agressif et la parole humiliante dĂ©truit de lâintĂ©rieur lâĂȘtre qui sâidentifie Ă lâimage de lui-mĂȘme que dessine la parole de lâautre. La fonction crĂ©atrice de la parole dans le dĂ©veloppement de la pensĂ©e. On croit communĂ©ment que la pensĂ©e est antĂ©rieure et transcendante au langage, que celui-ci nâest quâun instrument destinĂ© Ă communiquer aprĂšs coup une pensĂ©e intĂ©rieure qui se possĂ©derait comme conception pure. Le langage ne serait donc pas le corps de la pensĂ©e, il nâen serait que le vĂȘtement inessentiel. On trouve cette reprĂ©sentation chez les thĂ©oriciens de lâĂąge classique, par exemple dans la Grammaire gĂ©nĂ©rale et raisonnĂ©e de Port Royal 1660 Parler est expliquer ses pensĂ©es par des signes que les hommes ont inventĂ©s Ă ce dessein » ; ou chez Descartes dans Le Discours de la mĂ©thode lorsqu'il dit que Ceux qui ont le raisonnement le plus fort, et qui digĂšrent le mieux leurs pensĂ©es afin de les rendre claires et intelligibles, peuvent toujours le mieux persuader ce qu'ils proposent, encore qu'ils ne parlassent que bas-breton, et qu'ils n'eussent jamais appris de rhĂ©torique ». Cette idĂ©e quâil y aurait une extĂ©rioritĂ© rĂ©ciproque de la pensĂ©e et du langage semble sâattester dâune part dans lâexpĂ©rience que nous faisons dâun Ă©cart entre la pensĂ©e que nous cherchons Ă exprimer et ce que nous disons comme sâil y avait une Ă©tape prĂ©linguistique de la pensĂ©e ; dâautre part dans le fait que lâenfant commence par faire un usage non intellectuel du langage, essentiellement affectif et conatif. Pourtant penser, câest viser du sens, la question Ă©tant de savoir sâil est possible de dĂ©solidariser le signifiĂ© des liaisons signifiantes qui en sont les supports. Car quâest-ce quâune pensĂ©e sans mots, si ce nâest dans le pire des cas une illusion de pensĂ©e ou dans le meilleur, une Ă©bauche de pensĂ©e, un vague Ă©lan qui ne prendra consistance que dans lâĂ©preuve de la formulation ? Platon dĂ©finissait ainsi la pensĂ©e comme le dialogue intĂ©rieur de lâĂąme avec elle-mĂȘme et une attention scrupuleuse Ă notre expĂ©rience rĂ©vĂšle quâon ne cherche ses mots quâĂ lâaide dâautres mots, quâon ne sait ce quâon voulait dire que lorsquâon lâa dit. DâoĂč la salutaire dĂ©mystification hĂ©gĂ©lienne C'est dans les mots que nous pensons, affirme le philosophe. Nous n'avons conscience de nos pensĂ©es dĂ©terminĂ©es et rĂ©elles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les diffĂ©rencions de notre intĂ©rioritĂ©, et par suite nous les marquons d'une forme externe, mais d'une forme qui contient aussi le caractĂšre de l'activitĂ© interne la plus haute. C'est le son articulĂ©, le mot, qui seul nous offre une existence oĂč l'externe et l'interne sont si intimement unis. Par consĂ©quent, vouloir penser sans les mots, c'est une tentative insensĂ©e. Et il est Ă©galement absurde de considĂ©rer comme un dĂ©savantage, et comme un dĂ©faut de la pensĂ©e cette nĂ©cessitĂ© qui lie celle-ci au mot. On croit ordinairement il est vrai, que ce qu'il y a de plus haut, c'est l'ineffable. Mais c'est lĂ une opinion superficielle et sans fondement; car, en rĂ©alitĂ©, l'ineffable, c'est la pensĂ©e obscure, la pensĂ©e Ă l'Ă©tat de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu'elle trouve le mot. Ainsi, le mot donne Ă la pensĂ©e son existence la plus haute et la plus vraie. » Hegel. EncyclopĂ©die, III, Philosophie de l'esprit. § 462. Hegel dĂ©nonce ici la double illusion d'une pensĂ©e pure et d'un ineffable supĂ©rieur Ă tout ce qu'il est possible de dire. Il n'y a pas de pensĂ©e extĂ©rieure au langage, pas de pensĂ©e hors des signifiants. Penser câest opĂ©rer avec des signes, remarque Wittgenstein, et il nây a pas lieu de localiser hors de cette opĂ©ration une activitĂ© mentale que lâon substantialise sous le nom de pensĂ©e. La pensĂ©e pure est un mythe. C'est une impulsion confuse, une Ă©nergie vague, indĂ©terminĂ©e, vide de contenu. C'est une nĂ©buleuse indistincte, un rĂȘve flou et fugitif, une illusion de pensĂ©e. Seule la verbalisation des pensĂ©es en assure l'effectivitĂ©. Certes on peut distinguer l'intĂ©rioritĂ© spirituelle de l'extĂ©rioritĂ© des mots et de leur objectivitĂ© au sens oĂč un code lexical et syntaxique doit ĂȘtre appris et vaut pour tous les membres d'une communautĂ©. Mais ce n'est pas un argument pour croire que la pensĂ©e a une rĂ©alitĂ© antĂ©rieurement Ă son objectivation dans les mots. Car seul le mot lui permet de sortir de l'indistinction, de la confusion, de l'indiffĂ©renciation. Loin que la verbalisation trahisse la pensĂ©e, elle la fait advenir Ă elle-mĂȘme. L'ineffable, ce qui ne peut pas se dire est en rĂ©alitĂ©, ce qui n'est pas clairement pensĂ©, ce qui reste confus. C'est une pensĂ©e qui se cherche et ne se possĂšde pas encore. Ainsi l'intention signifiante ne va pas d'une pensĂ©e intĂ©rieure, extĂ©rieure aux mots Ă la parole. Elle procĂšde par approximations successives d'une formulation intĂ©rieure imprĂ©cise Ă une formulation plus prĂ©cise dans une dialectique sans fin qui est la vie de la parole et de la pensĂ©e. Elle va de l'obscur au clair par la mĂ©diation des mots. C'est donc dans le mot que la pensĂ©e prend corps, consistance, rĂ©alitĂ©. Câest patent dans lâapprentissage que lâenfant fait de sa langue. Il ne lâapprend pas comme il apprendra plus tard sa table de multiplication. Il dĂ©couvre plutĂŽt les possibilitĂ©s symboliques et logiques de sa facultĂ© linguistique Ă travers une expĂ©rimentation incessante faite dâautocorrections et de mise en Ćuvre inconsciente des rĂšgles dâanalyse et de construction en jeu dans tout Ă©noncĂ©. Dans son rĂ©cit, Helen Keller insiste beaucoup sur la chance quâont les enfants indemnes de ses propres handicaps, en particulier qui entendent, pour acquĂ©rir la compĂ©tence linguistique. Elle note avec nostalgie quâils apprennent Ă parler par imitation, les conversations se tenant autour dâeux stimulant leur esprit sans quâils aient Ă prendre conscience de toutes les rĂšgles implicites ; ils saisissent au vol, si lâon peut dire, les mots qui tombent des lĂšvres, tandis que le petit sourd ne les acquiert que par un procĂ©dĂ© long et pĂ©nible. Mais quâimporte le procĂ©dĂ© ! Le rĂ©sultat est merveilleux. On commence par apprendre le nom dâun objet ; puis graduellement, on franchit le vaste espace entre la premiĂšre syllabe balbutiĂ©e et le monde de pensĂ©es contenues dans un vers de Shakespeare ». Histoire de ma vie, Payot, 1991, trad. A Huzard, p. 47. De fait, on peut dire quâil y a un dĂ©veloppement parallĂšle de la pensĂ©e et du langage chez lâenfant. PrivĂ© de tout Ă©change linguistique le petit de lâhomme serait un attardĂ© mental, ses fonctions mentales inemployĂ©es sâatrophieraient comme le montre Victor lâenfant sauvage de lâAveyron, Ă©tudiĂ© par Itard 1800, Institution des sourds et muets. LâhĂ©bĂ©tude intellectuelle est le destin de lâĂȘtre coupĂ© dâun milieu de paroles car câest le langage qui actualise nos possibilitĂ©s dâabstraction, de conceptualisation, de raisonnement. On apprend Ă penser en essayant de comprendre le sens des signes transmis, et en Ă©tant mis en situation dâarticuler de maniĂšre cohĂ©rente les Ă©noncĂ©s que nous produisons. On dĂ©couvre ainsi quâon ne peut pas dire nâimporte quoi nâimporte comment et quâon participe dâune raison commune nous faisant obligation de confronter notre pensĂ©e Ă celle dâautrui pour nous assurer de sa rectitude. VoilĂ pourquoi Aristote Ă©tablit que les trois dĂ©finitions de notre humaine nature, animal parlant, animal rationnel et animal politique, sont rĂ©ciproquables. Etre un animal parlant signifie que nous sommes un animal rationnel parce que la parole met en jeu une activitĂ© dâabstraction, les mots sont des concepts, de jugement toute proposition est un jugement consistant Ă affirmer ou nier la vĂ©ritĂ© dâune relation posĂ©e par lâesprit entre des concepts et de raisonnement on enchaĂźne des propositions selon des rĂšgles logiques. Il sâensuit que parler, câest autre chose quâexprimer des affects, du plaisir, de la douleur et de les communiquer, comme câest le cas chez les animaux. Le cri de douleur AĂŻe ! est une chose, le jugement selon lequel on affirme que cela fait mal » en est une autre. Dans un cas lâexistence humaine se dĂ©ploie dans la seule sphĂšre de lâimmĂ©diat et du subjectif, dans lâautre dans celle de lâobjectif et du communĂ©ment jugĂ©. En parlant, le locuteur sâinscrit dans une communautĂ© de sens et de valeurs, les notions dont le discours est saturĂ© vrai, faux, juste, injuste, bien, mal, utile nuisible, dangereux ou non etc. ne pouvant pas prĂ©tendre Ă la seule validitĂ© subjective. Lorsquâon dit que quelque chose est vrai, ou que telle conclusion est cohĂ©rente, le juge de ces apprĂ©ciations nâest pas lâarbitraire subjectif, mais une facultĂ© qui nous est commune et qui sâappelle la raison. La parole comme discours sensĂ© nâest donc pas seulement le marqueur de notre dimension raisonnable, elle lâest aussi de notre nature sociale ou politique. Elle rĂ©vĂšle la nature relationnelle de la rĂ©alitĂ© humaine et si immĂ©diatement elle tĂ©moigne de notre inscription dans une communautĂ© au sens ethnique, plus fondamentalement elle ouvre lâhorizon dâune communautĂ© oĂč les hommes peuvent faire amitiĂ© par lâesprit, dĂ©battre de leur conception du bien commun, et rĂ©aliser par la dĂ©libĂ©ration collective les accords nĂ©cessaires Ă la vie en commun. Si la parole nous a Ă©tĂ© donnĂ©e, câest peut-ĂȘtre parce que notre destination est dâaccomplir notre nature raisonnable et politique dans son excellence, câest-Ă -dire de dessiner en nous et dans la citĂ© le visage de lâhomme. La fonction expressive et communicative de la parole. Cependant avant dâassumer sa vocation Ă©thico-politique, la parole remplit plus originairement une fonction expressive. En tĂ©moignent les formes les plus spontanĂ©es de lâexpression vocale le cri de douleur, de plaisir, de colĂšre ou dâeffroi libĂšre dans lâextĂ©rioritĂ© une vĂ©ritĂ© affective que la personne aurait peut-ĂȘtre voulu taire ou mĂ©tamorphoser par une reprise qui est celle de lâesprit en chacun de nous mais la violence de lâaffect ne lui en nâa pas laissĂ© la libertĂ©. En tĂ©moigne aussi lâenfant chez qui la fonction expressive semble lâemporter sur la fonction communicative. Comme lâĂ©crit Georges Gusdorf Aux origines mĂȘmes de l'existence, l'expression semble s'affirmer Ă peu prĂšs seule. Le premier cri de l'enfant, puis tous ses exercices vocaux avant l'acquisition du langage, manifestent la prĂ©pondĂ©rance de la premiĂšre personne sur la seconde ou la troisiĂšme. Sans doute, le cri est un appel, mais il adhĂšre Ă la rĂ©alitĂ© personnelle qu'il exprime. MĂȘme aprĂšs la premiĂšre Ă©ducation, le langage enfantin demeure largement Ă©gocentrique babillage et jeux de mots, passe-temps articulatoires se situent en dehors de l'utilitĂ© pratique et de la rĂ©alitĂ© sociale. C'est seulement aprĂšs 7 ans â l' Ăąge de raison » de la sagesse traditionnelle â que la parole de l'enfant, au dire des psychologues, atteste la prĂ©pondĂ©rance de la fonction de communication sur la fonction simplement expressive. Lâexpression lâemporterait donc aux origines - comme elle lâemporte d'ailleurs lorsque la parole atteint Ă sa plus haute intensitĂ© dans la passion ou dans l'effroi, le cri, dĂ©gagĂ© de toute contrainte sociale, obĂ©it Ă une spontanĂ©itĂ© essentielle de l'ĂȘtre. Et, dans un autre ordre, le chant du poĂšte fait entendre une parole plus secrĂšte et plus pure, libre des contaminations extĂ©rieures, un cri sublimĂ© oĂč lâexpression atteint Ă sa plus noble valeur. Entre ces situations limites, l'expression est toujours prĂ©sente comme un coefficient de la parole, qui ferait Ă©quilibre au coefficient de la communication. Pour que disparaisse le besoin de s'exprimer, il faut que le goĂ»t de vivre lui-mĂȘme soit atteint. Je n'ai plus grande curiositĂ© de ce que peut m'apporter encore la vie, affirme une des derniĂšres pages d'AndrĂ© Gide. J'ai plus ou moins bien dit ce que je pensais que j'avais Ă dire et je crains de me rĂ©pĂ©ter... » La Nouvelle Revue française, Hommage Ă AndrĂ© Gide », 1951, p. 37 l-372. Et le grand Ă©crivain, constatant qu'il n'a plus rien Ă dire, se pose aussitĂŽt la question du suicide ». La parole. Puf, Quadrige, 1952. 2013, p. LâexpressivitĂ© est en effet le propre des ĂȘtres vivants. Le mouvement exhibe lâĂ©nergie vitale, les cris, gestes et comportements trahissent les besoins et les affects des sensibilitĂ©s animales, mais avec lâhomme lâexpressivitĂ© devient celle dâun ĂȘtre fortement individualisĂ© imprimant sur son corps, ses conduites ou dans le dĂ©cor de sa vie la marque de sa dimension spirituelle et culturelle. La parole et lâaction sont pour lâĂȘtre humain les moyens dâexpression privilĂ©giĂ©s. En agissant et en parlant les hommes font voir qui ils sont, rĂ©vĂšlent activement leurs identitĂ©s personnelles uniques et font ainsi leur apparition dans le monde humain, alors que leurs identitĂ©s physiques apparaissent, sans la moindre activitĂ©, dans l'unicitĂ© de la forme du corps et du son de la voix. Cette rĂ©vĂ©lation du qui » par opposition au ce que » â les qualitĂ©s, les dons, les talents, les dĂ©fauts de quelqu'un, qu'il peut Ă©taler ou dissimuler â est implicite en tout ce que l'on fait et tout ce que l'on dit. Le qui » ne peut se dissimuler que dans le silence total et la parfaite passivitĂ©, mais il est presque impossible de le rĂ©vĂ©ler volontairement comme si l'on possĂ©dait ce qui » et que l'on puisse en disposer de la mĂȘme maniĂšre que l'on a des qualitĂ©s et que l'on en dispose. Au contraire, il est probable que le qui », qui apparaĂźt si nettement, si clairement aux autres, demeure cachĂ© Ă la personne elle-mĂȘme, comme le daimĂŽn de la religion grecque qui accompagne chaque homme tout au long de sa vie, mais se tient toujours derriĂšre lui en regardant par-dessus son Ă©paule, visible seulement aux gens que l'homme rencontre ». Hannah Arendt, Condition de lâhomme moderne, Calmann-LĂ©vy, p. 236. Ainsi en prenant la parole, lâhomme fait son apparition dans le monde en montrant de lui-mĂȘme plus ou autre chose que ce qui correspond Ă son intention consciente. La posture du corps, les tremblements de la voix peuvent rĂ©vĂ©ler la timiditĂ©, la gĂȘne, la panique de ceux qui ont Ă surmonter les obstacles liĂ©s Ă des relations de pouvoir inĂ©gales. La parole Ă©tant immĂ©diatement confisquĂ©e par ceux qui jouissent de statuts sociaux supĂ©rieurs, il ne va pas de soi, pour ceux qui sont privĂ©s de la reconnaissance sociale ou dĂ©munis sur le plan du capital symbolique, de prendre la parole. Plus que dâautres peut-ĂȘtre, ils ont bien conscience que cet acte est une mise en danger de soi, une maniĂšre de devenir lâotage des prĂ©jugĂ©s de ceux qui Ă©coutent moins quâils ne projettent sur lâautre leurs a priori rĂ©ducteurs. La prostituĂ©e peut ĂȘtre dâemblĂ©e figĂ©e dans un statut dâindignitĂ© humaine jetant un soupçon sur la crĂ©dibilitĂ© de sa parole, les plaintes des victimes des problĂšmes sociaux peuvent ĂȘtre rapidement disqualifiĂ©es dans leur lĂ©gitimitĂ© par les Ă©lites que leurs conditions de vie mettent Ă lâabri du dĂ©classement social, de lâinsĂ©curitĂ© culturelle, ou du chĂŽmage. Les facteurs psychologiques peuvent aussi rendre la prise de parole difficile. En deçà du contenu du message, la parole trahit un fond obscur de la personnalitĂ© psychique susceptible de parasiter le sens de ce quâelle veut dire. Combien de fois lâagressivitĂ© du ton semble fournir un dĂ©menti Ă lâaveu dâirĂ©nisme! En ce sens, lâexpressivitĂ© du sujet parlant, dans les modalitĂ©s non linguistiques de sa manifestation surtout, posture du corps, ton, dĂ©bit, mimiques, etc., lui Ă©chappe en partie et peut faire Ă©cran Ă la façon dont il veut consciemment se prĂ©senter aux autres. La psychanalyse nous a ainsi habituĂ©s Ă entendre autre chose dans la parole de lâautre que le sens quâil vise. Le sociologue de mĂȘme. Parle, et je mettrai Ă jour ton inconscient psychique ou les dĂ©terminismes sociaux dont tu es le jouet. Il me semble quâil convient de dĂ©noncer dans ce type de rapport Ă la parole dâautrui, une maniĂšre de manquer la personnalitĂ© individuelle dans ce qui fait sa singularitĂ©. Car, Ă la diffĂ©rence des animaux, la manifestation de lâĂȘtre humain dans lâextĂ©rioritĂ© met en jeu une libertĂ©, un choix de ce quâil veut montrer et de ce quâil juge indigne dâapparaĂźtre aux autres. On rencontre ici la distinction quâ Hannah Arendt Ă©tablit entre se montrer » et se prĂ©senter ». Ce qui apparaĂźt de la personne Ă son insu renvoie au fond aux Ă©motions de lâĂąme peur, colĂšre, amour, haine, etc., lesquelles sont solidaires du corps et sont les mĂȘmes pour tous. Idem pour les dĂ©terminismes sociaux. Ils font signe vers ce quâil y a de plus impersonnel dans la rĂ©alitĂ© humaine. Sâil nâen Ă©tait pas ainsi il nây aurait pas de psychologie ou de sociologie comme science puisquâil nây a de science que du gĂ©nĂ©ral. Or dans son expression, la personne rĂ©vĂšle autre chose que ce fond anonyme et indiffĂ©renciĂ©. En transposant le donnĂ© intĂ©rieur dans le manifeste, elle lâindividualise, le façonne et cela passe par la mĂ©diation des pouvoirs de lâesprit. Par la parole, par lâaction, elle se prĂ©sente » aux autres. Se prĂ©senter » diffĂšre de se montrer » par le choix conscient et actif de l'image offerte ; quand l'ĂȘtre vivant se montre », il n'a d'autre alternative que de faire voir les propriĂ©tĂ©s qui sont les siennes. On ne peut se prĂ©senter si, dans une certaine mesure, on n'a pas la perception de soi-mĂȘme â aptitude qui tient Ă la nature rĂ©flexive de l'activitĂ© mentale et qui transcende manifestement la simple conscience que l'homme partage sans doute avec les espĂšces animales les plus Ă©voluĂ©es. C'est seulement quand on prĂ©sente le moi qu'on risque de tomber dans l'hypocrisie et la simulation Ă proprement parler, et on ne distingue la simulation et la comĂ©die de la rĂ©alitĂ© que parce qu'elles ne parviennent ni Ă se prolonger ni Ă se tenir ». Hannah Arendt, La vie de lâesprit, I, Puf, p. 52. Ainsi, simulation ou hypocrisie exceptĂ©es, ce que nous exposons en exprimant nos sentiments ou idĂ©es, câest nous-mĂȘmes, câest-Ă -dire la maniĂšre dont nous avons dĂ©cidĂ© dâapparaĂźtre. Par exemple, lâhomme courageux nâest pas lâĂȘtre qui ignore la peur mais celui qui a dĂ©cidĂ© que ce n'est pas le spectacle de la peur qu'il veut donner. Cette dĂ©cision sâĂ©claire Ă la lumiĂšre du choix conscient mais aussi Ă celle de cette source invisible de la personnalitĂ© que les Grecs appelaient le daimĂŽn. Câest pourquoi ni le sujet parlant, ni celui qui lâĂ©coute nâont un pur rapport de transparence avec le soi » intĂ©rieur dâun ĂȘtre. Si ce soi intĂ©rieur » nâavait aucune consistance, toutes ses manifestations, variables selon les situations et les interlocuteurs, seraient un masque purement mensonger, mais privĂ© de la persona, du masque qui rĂ©vĂšle en cachant, il nâaurait aucune rĂ©alitĂ©. Au fond la personnalitĂ© individuelle se constitue dans et par ses manifestations sans ĂȘtre rĂ©ductible Ă aucune dâentre elles. Il y a donc une Ă©nigme de la personnalitĂ© conduisant Hannah Arendt Ă prĂ©ciser que lâindividu est identifiable mais non dĂ©finissable. La personne, câest lâindividu en tant quâil sâouvre au monde de telle sorte que le comprendre dans sa singularitĂ© ne consiste jamais Ă le rĂ©duire Ă des dĂ©terminismes psychiques ou sociaux, mĂȘme si ceux-ci conditionnent en partie la maniĂšre dont chacun opĂšre la reprise du donnĂ© naturel et social de son ĂȘtre. Câest toujours lâaccueillir dans le dĂ©voilement quâil assume de lui-mĂȘme et qui rĂ©vĂšle tout en masquant le soi intĂ©rieur. Il y a lĂ une tĂąche pointant le lien intime de la fonction expressive de la parole et de sa fonction communicative. En sâexprimant, le locuteur cherche Ă rendre audible, visible quelque chose de sa propre intĂ©rioritĂ© qui demeurerait invisible sâil ne sâexposait pas dans la parole ou lâaction. Il sâefforce de dĂ©jouer lâobstacle de lâextĂ©rioritĂ© en interpellant dâautres intĂ©rioritĂ©s. Mais la maniĂšre dont celles-ci se projettent vers lui nâest pas indiffĂ©rente. Comme on vient de le voir avec les stratĂ©gies de soupçon du psychanalyste ou du sociologue, elle peut ne pas ĂȘtre entendue dans ce quâelle sâefforce de faire entendre. La communication est ainsi toujours exposĂ©e au malentendu, Ă la trahison quand elle nâest pas dĂ©voyĂ©e par des procĂ©dures inquisitoriales. Si ce que les psychanalystes appellent lâinconscient psychique est lâĂ©cart entre le sens que le sujet parlant donne Ă ses paroles et le sens que ces mĂȘmes paroles ont dans la conscience du psychanalyste, il ne peut pas en ĂȘtre autrement. Par ses prĂ©supposĂ©s thĂ©oriques, lâĂ©coute psychanalytique, lorsquâelle sĂ©vit hors de lâespace de la cure analytique, introduit dans les rapports humains, pour autant quâils se nouent par la parole, une dissymĂ©trie antinomique dâune rencontre de deux libertĂ©s. Il y a du flic » dans tout psychanalyste. Son supposĂ© savoir sur le dĂ©terminisme inconscient est la lunette le condamnant Ă manquer la libertĂ© de lâautre et Ă le rĂ©duire Ă une dimension Ă laquelle il nâest pas rĂ©ductible. Mais ce risque que doit affronter chaque sujet parlant dans la mesure oĂč il est lâotage de la maniĂšre dont celui qui lâĂ©coute se projette vers lui nâest pas le seul auquel il est exposĂ©. Un autre obstacle tient au fait quâil ne dispose pour se dĂ©voiler dans sa vĂ©ritĂ© singuliĂšre que dâun moyen de communication impersonnel. Les mots du langage sont en effet des piĂšces de monnaie bien commodes tant que lâobjet de lâĂ©change est insignifiant les lieux communs de la conversation usuelle ou purement pragmatique. Pour exprimer les besoins communs Ă tous ou obtenir des autres les conduites utiles Ă leur satisfaction, les mots de la tribu » MallarmĂ© avec leurs significations communes, souvent galvaudĂ©es sont bien suffisants. A la limite dâailleurs si lâexpression se limitait Ă de tels contenus de simples gestes pourraient faire lâaffaire. Mais dĂšs quâil sâagit dâexprimer autre chose que des vĂ©ritĂ©s impersonnelles ou des intĂ©rĂȘts utilitaires, la difficultĂ© commence. Faite pour dĂ©jouer lâobstacle de lâextĂ©rioritĂ©, la parole est confrontĂ©e Ă ce mĂȘme obstacle par la nature mĂȘme du langage. Comment dire la singularitĂ© de mon amour, ce quâil a dâunique et dâoriginal avec des mots qui, en tant que concepts, nâont retenu de lâexpĂ©rience humaine que les propriĂ©tĂ©s les plus gĂ©nĂ©rales ? LâamitiĂ© de Montaigne et de la BoĂ©tie nâest pas celle dâAchille et de Patrocle et pourtant un mĂȘme mot sert Ă les dĂ©signer. Comment ne pas soupçonner parfois la communication apparente de reposer sur un immense malentendu ? Nous employons des mots nous donnant lâimpression de nous comprendre mais le vĂ©cu auquel renvoie la signification commune nâest-il pas fondamentalement diffĂ©rent dâune personne Ă une autre ? Ce doute surgit dans les relations exigeantes oĂč confrontĂ© Ă lâexpĂ©rience de lâaltĂ©ritĂ© des autres, on dĂ©couvre combien la singularitĂ© individuelle peut ĂȘtre une prison. Cette insuffisance ontologique du langage a souvent Ă©tĂ© dĂ©noncĂ©e. Il ferait obstacle par principe Ă la rencontre, Ă la communion des ĂȘtres, dâune part parce quâil est une mĂ©diation, dâautre part parce que les mots ne donnent pas accĂšs Ă la vĂ©ritĂ© personnelle. DâoĂč la tentation du silence chez ceux qui, aspirant Ă la transparence des ĂȘtres, dĂ©sespĂšrent de la parole. Mais le silence nâest-il pas, davantage encore que la parole, source de malentendus ? Car il y a une profonde ambiguĂŻtĂ© du silence. Il peut nâĂȘtre que le silence vide de lâhĂ©bĂ©tude ou de lâindigence de ceux qui se taisent parce quâils nâont rien Ă dire. Il peut ĂȘtre le silence de lâĂ©moi amoureux, de la connivence amicale ou de la complicitĂ© des ĂȘtres. Mais il peut ĂȘtre aussi celui de la pudeur, du malaise, du blocage affectif ou intellectuel, des non-dits empoisonnant les relations humaines. Ses diffĂ©rentes tonalitĂ©s tĂ©moignent quâil est moins lâautre absolu la parole que ce qui bruisse dâune parole confuse, Ă©loquente jusque dans sa suspension. Ainsi mĂȘme sâil est vrai quâil y a des silences pleins, proprement miraculeux, oĂč la communication sâopĂšre de maniĂšre indirecte, par un regard, par une vibration des sensibilitĂ©s, ne faut-il pas quâil sâexplicite par le moyen de paroles ? Car Ă dĂ©faut de ce prolongement, le risque est toujours de lui confĂ©rer un sens quâil nâa pas. En excĂšs ou en dĂ©faut par rapport Ă la parole, le silence a besoin dâelle pour clarifier son sens. RĂ©ciproquement elle a besoin de lui pour avoir une profondeur. Câest lui qui fait rĂ©sonner dans lâĂ©change la richesse du sens visĂ© par des signes le menaçant toujours dâĂȘtre rĂ©duit au dĂ©nominateur commun. Câest lui qui laisse entrevoir lâexpĂ©rience humaine de lâineffable, ou celle du mystĂšre des ĂȘtres s'efforçant d'ĂȘtre moins opaques les uns aux autres. Comme en musique, silence et parole se font Ă©cho dans un jeu subtil par lequel les personnes tentent de sâouvrir les unes aux autres dans un dĂ©fi aux difficultĂ©s et aux illusions de la communication. Mais cette visĂ©e garde un caractĂšre dexception. Elle nâest pas et ne peut pas ĂȘtre celle de la pratique commune de la parole. Lâurgence de lâaction, des fins utilitaires, la tĂąche quotidienne de vivre et de travailler ensemble rendent nĂ©cessaire un usage de la parole Ă©tranger Ă lâexigence de lâexpression singuliĂšre et de la communication intime. En tĂ©moigne le fait que lâusage courant de la parole sâĂ©puise dans un Ă©change dâinformations, de consignes, de propos sur la pluie ou le beau temps, sur les nouvelles du jour ou la santĂ© de chacun, dans le cadre duquel les hommes nâĂ©prouvent pas, sauf exception, des difficultĂ©s Ă se comprendre. La rĂ©ussite du langage pragmatique se vĂ©rifie aussi dans la citĂ© scientifique dans la mesure oĂč physiciens, chimistes, biologistes ou mathĂ©maticiens emploient un langage affranchi des ambiguĂŻtĂ©s du langage courant et poursuivent une fin impersonnelle. Seules donc des relations intersubjectives privilĂ©giĂ©es permettent dâaccomplir, sous des formes plus ou moins rĂ©ussies, lâaspiration Ă la transparence qui travaille chaque solitude mais dont tout le monde sait bien quâelle est impossible dans sa perfection. Les relations sociales ont dâordinaire dâautres enjeux et exigent de mettre la barre moins haute. Câest peut-ĂȘtre moins la subjectivitĂ© des ĂȘtres qui importe dans ce contexte que leur humanitĂ©, moins leurs Ă©tats d'Ăąme, que leurs maniĂšres de s'engager dans et envers le monde. L'humanitĂ© se dĂ©voile donc dans la maniĂšre dont chacun agit et porte des jugements sur le monde que nous habitons en commun. Et moins ces actions et ces jugements sont prisonniers de lâarbitraire subjectif, plus ils gagnent en humanitĂ©. La parole sâĂ©claire ici Ă la lumiĂšre dâune autre exigence. Non plus celle de la transparence des intimitĂ©s, mais celle de lâaccĂšs de chacun Ă sa propre humanitĂ© et cela passe par le dĂ©ploiement de notre raison commune. Car câest la raison en nous qui pose la question du sens, de la valeur, du fondement de nos discours et de nos pratiques. Câest elle qui peut contrĂŽler lâexercice de lâentendement dans la recherche du vrai, câest elle qui affronte la question du juste, du bien en jeu dans le dĂ©bat sur le monde, et ni le vrai, ni le juste, ni le bien ne se mesure Ă lâaune des subjectivitĂ©s et de leur particularitĂ© empirique. Le vrai, le juste sont ce qui peut prĂ©tendre Ă la reconnaissance universelle. Le dĂ©voilement de notre humanitĂ© est donc consubstantiel Ă une pratique de la parole soucieuse de se justifier devant le tribunal de notre commune raison. Cette parole consĂ©quente, responsable nâest pas la parole spontanĂ©e. Celle-ci est dâordinaire aliĂ©nĂ©e affectivement et compromise avec la violence sociale. Pour libĂ©rer son potentiel dâhumanitĂ©, la parole a besoin de se confronter Ă dâautres paroles afin dâinitier un rapport critique Ă elle-mĂȘme, et de subvertir par lĂ son rapport aux autres. Telle est la tĂąche du dĂ©bat dĂ©mocratique en tant qu'il devrait ĂȘtre l'instituteur du monde commun. Mais l'expĂ©rience montre que celui-ci est moins, dans la pratique commune, l'instrument du dĂ©passement de la violence, que sa reconduction sous des formes plus insidieuses. Pour qu'un vrai dialogue entre les hommes soit possible, pour que la parole assume vraiment sa vocation Ă©thico-politique, il y faut une certaine intentionnalitĂ©. Disons que celle-ci est sous sa forme idĂ©ale l'intentionnalitĂ© philosophique dans son sens socratique. Pratique commune â Pratique philosophique de la parole. Cf. Quelle pratique de la parole implique l'esprit philosophique? Partager Marqueursaffects, communication, conditions de fĂ©licitĂ©, constatifs, culture, fonction crĂ©atrice, fonction symbolique, fonction thaumaturgique, intersubjectivitĂ©, langue, monde animal, monde humain, nature, parole, pensĂ©e, performatifs, psychanalyse, raison, signaux, signes, symbole
HomeUncategorized jean jacques goldman et l on n' y peut rien. By 31/05/2022 cri singe hurleur mp3 Comments Off. jean jacques goldman et l on n' y peut rienŰȘŰŰłÙÙ ŰŹÙŰŻŰ© ۧÙŰšÙÙ۶ۧŰȘ ŰčۧÙÙ ŰÙۧۥ
C'est exactement cela, l'Amour ! Amor mio.......................................................................................................................Comme un fil entre l'autre et l'unInvisible, il pose ses liensDans les mĂ©andres des inconscientsIl se promĂšne impunĂ©mentEt tout un peu trembleEt le reste s'Ă©teintJuste dans nos ventresUn nĆud, une faimIl fait roi l'esclaveEt peut damner les saintsL'honnĂȘte ou le sageEt l'on n'y peut rienEt l'on rĂ©siste on bĂątit des mursOn se protĂšge, comme on peutDes piĂšges, des tourments futurDe ses hasards malheureuxTu rampes et tu guettesEt tu mendies des motsTu lis ses poĂštesAimes ses tableauxEt tu cherches Ă la croiserT'as 15 ans soudainTu rĂȘves d'aimer,Et l'on y peut rienIl s'invite quand on ne l'attend pasQuand on y croit, il s'enfuit dĂ©jĂ FrĂšre qui un jour y goĂ»taJamais plus tu ne guĂ©rirasIl nous laisse videEt plus mort que vivantC'est lui qui dĂ©cideOn ne fait que semblantLui, choisit ses toursEt ses va et ses vientAinsi fait l'amourEt l'on n'y peut rien- ÎŁŐ„Öá аÎșŃĐżĐ°ĐżÎżÎŸÏж Ö ĐœÖŐČáÏŃÏĐžŃ
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