UN LONG DIMANCHE DE FIANÇAILLESUn film aux personnages unidimensionnels, aux images chromo et à l’obsession virtuose du Jeunet tout dans tous les films de Jean-Pierre Jeunet, il faut mettre les patins avant d’entrer chaque plan, chaque élément de décor, chaque centimètre carré de l’image semble lustré à la peau de chamois. Ce […] UN LONG DIMANCHE DE FIANÇAILLESUn film aux personnages unidimensionnels, aux images chromo et à l’obsession virtuose du Jeunet tout dans tous les films de Jean-Pierre Jeunet, il faut mettre les patins avant d’entrer chaque plan, chaque élément de décor, chaque centimètre carré de l’image semble lustré à la peau de chamois. Ce que le réalisateur appelle le goût de l’effort et du travail, l’envie d’originalité, l’aspiration à la beauté, est à nos yeux une conception étriquée du beau contre laquelle nous ont vacciné des gens comme Renoir, Rossellini ou Pialat, une conception véhiculée par une maniaquerie obsessionnelle, une loghorrée de virtuosité étouffante, un exhibitionnisme égotiste, une recherche de perfection illusoire qui écrabouillent tout le récit, les personnages, les émotions. C’est vrai que Jeunet est un bourreau de travail, un virtuose du détail visuel, mais c’est précisément ce goût du détail, valable dans la forme courte et marchande clip, pub…, qui fatigue sur la distance du long. Cela gave d’autant plus que ce perfectionnisme glaçant charrie une obsession morbide du rétro, une phobie du réel et du présent, un goût étrange pour le chromo et le pittoresque. Ainsi, dans Un long dimanche…, la Bretagne ressemble à un poster du calendrier des postes, les tranchées à une bataille géante de soldats de plomb, le Paris 1920 à une série d’images d’Epinal animées. Pourquoi pas, mais ajoutons que, chez Jeunet, les Corses pratiquent l’omerta, que les Alsaciens mangent de la choucroute et que les Bretons font des crêpes et du far. On nage en plein kitsch selon Milan Kundera, c’est-à-dire dans la vulgate de base, les idées reçues, le soi-disant bon sens populaire avec ses proverbes plus ou moins vaseux et ses superstitions… Un long dimanche… entend rassembler le plus large public possible, et cela n’est concevable qu’en égrenant ce qui est admis et digéré par tout le monde, et surtout pas en questionnant ou en remettant en cause les poncifs dominants. Opération évidemment facilitée par le refuge dans un passé enjolivé aux différents filtres colorés. Oui, mais quand même, l’amour, la Grande Guerre… Comment ressentir l’émotion amoureuse ambitionnée par Jeunet quand cette émotion est fléchée, au marqueur gras, à chaque gros plan de la mignonne frimousse d’Audrey Tautou ? La virtuosité de Jeunet ne laisse aucun répit, aucun espace permettant à l’imaginaire du spectateur de travailler. Et comment s’identifier à des personnages privés de toute complexité, réduits à des figurines unidimensionnelles ? Tautou, c’est la Bretonne têtue qui a raison contre tout le monde ; Cotillard, la Corse fatale et vengeresse ; Dupontel, le bon vivant qui ne pense qu’à baffrer, etc. Personnages sans chair et sans intériorité, purs rouages fonctionnels dans la conception mécaniste de Jeunet. Quant à la guerre, elle est comme le reste, transformée en album de coloriage, en diaporama de vignettes passéistes ciel vert-de-gris, avion rouge…. Qu’on ne s’y trompe pas le vrai grand sujet de Jean-Pierre Jeunet, celui qui occupe tous ses films et toute son énergie, ce n’est ni la guerre ni l’amour, c’est la perfection de son arsenal technique, l’obsession jamais guérie de son coffre à jouets d’enfant. Une perfection asphyxiante qui témoigne d’une superficialité de pensée et de regard sur le monde. En contre-champ critique d’Un long dimanche de fiançailles, on proposera trois films Les Parapluies de Cherbourg, La Maison des bois et Oh, Uomo. Ni Jacques Demy, ni Maurice Pialat, ni les Gianikian ne recherchaient l’originalité ou la perfection absolutiste de chaque plan. Que ce soit par le biais de l’artifice, du réalisme ou du document, ils étaient et sont toujours pour les Gianikian mobilisés par une ambition infiniment plus exigeante et plus humble être au service de la complexité du monde, de la profondeur existentielle et de la vérité humaine. Critiques